Minuit, morne plaine
La carrière d’un lecteur est comme celle d’un aventurier, inégale et séquencée.
On voudrait n’en retenir que les grands bonheurs : pénétrer, surpris et enchanté, dans une cité nouvelle, un site inexploré, s’y installer, vivre une autre vie. Toutes ces vies emmagasinées par la force de l’imagination, ces livres aimés follement, ces livres aimés qui « se mélangent au pain que l’on mange » (Ch. Bobin) font du lecteur un infatigable aventurier.
Parce qu’au détour des moments de grâce, quand les livres épousent parfaitement les esprits, il faut aussi traverser des périodes boulimiques qui laissent un goût d’inachevé : voyager sans but, s’arrêter dans tous les ports, errer sans jamais s’attacher. Et puis des séquences industrieuses, quand les jambes se font lourdes, mais qu’on a décidé d’avancer coûte que coûte, juste pour voir le fond de vallée, satisfaction d’avoir franchi le dernier col, mais peu de plaisir à l’arrivée.
Et puis les épisodes de jeûne, sans goût, ni envie particuliers. Les rayons des bibliothèques restent silencieux, les livres pris machinalement pèsent lourd aux poignets, les premières lignes parcourues sentent le rendez-vous manqué.
C’est le petit creux du mois de janvier.
En attendant l’embellie, on fait les comptes. Que reste-t-il dans mon panier pour tenir les jours prochains ?
Quelques vers griffonnés sur un coin de page froissé :
Il doit être minuit. Minuit moins cinq. On dort.
Chacun cueille sa fleur au vert jardin des rêves.
Et moi, las de subir mes vieux remords sans trêves
Je tords mon cœur pour qu’il s’égoutte en rimes d’or.
Sanglot de la terre
Jules Laforgue (1860-1887)
La couverture flamboyante d’un livre (par ailleurs introuvable en librairie)...
Un petit air nostagique qui fait boum !
Minuit, morne plaine ? Allez, bientôt le ré-enchantement !