L'ennui
Albert Camus disait fort joliment : Le seul, l’unique malheur est l’ennui, quand tout le ciel est dans les flaques.
L'ennui, un malheur, vraiment ? Dans notre société gavée de publicités, de désirs à combler, d'emplois du temps à optimiser, d'objectifs à définir, ce pourrait être juste un petit moment sans rien du tout...
Une respiration
Un soir de septembre, je préparais le dîner. Le silence dans la maison devait m’encombrer, j’ai allumé la radio. Un écrivain répondant aux questions d’une journaliste racontait une expérience de retrait du monde qu’il avait vécue et dont il avait tiré un livre. Quelque temps avant ses quarante ans, il était parti, comme il se l’était promis jeune homme, vivre six mois dans une cabane perdue au fond des bois au bord du lac Baïkal. Six mois de grande solitude dans une nature glacée, magnifique et hostile.
Avant son départ, ses proches, inquiets, l’avaient mis en garde contre ce qu'ils estimaient être son ennemi le plus implacable. Le froid, la glace, les loups ? Non, l'ennui ! L’ennui mortifère, dévoreur d'esprit...
Une fois dans sa cabane perdue, une révélation : rien ne lui manque. Le regard des autres, les bruits de la ville, le mouvement du monde ? Non, vraiment rien !
Pourtant, précise-t-il à la journaliste, il est par nature survolté, voyageur infatigable, épuisant partout et tout le temps ses proches. Mais au milieu des bois, loin de tout, les heures ne sont plus à remplir.
Il découvre le vertige de cette liberté nouvelle : vivre l’instant qui lui est offert. Retrouver la maîtrise du temps, ce qu’il appelle la possession des heures.
Regarder longuement par la fenêtre la neige tomber, la fumée de son thé, rester immobile...
De nouvelles sensations : le sentiment plein du silence. La perception du côté pâteux du temps.
Il conclut, toujours étonné de lui-même : la tension diminue, le cœur ralentit, confiné dans un espace réduit. L’esprit gagne en poésie ce qu’il perd en agilité.
J’ai toujours été fascinée par les rythmes monastiques, la vie recluse en silence, les huit offices chantés des matines aux complies, été comme hiver, sept jours sur sept, toute la vie durant. L’inévitable ennui qui peut s’en dégager, l’incroyable sérénité aussi.
Dans les forêts de Sibérie
Un livre de Sylvain Tesson